En 1904, l’équipe de France de football jouait le premier match de son histoire contre la Belgique

Par Victor WEULERSSE

Ce jeudi 7 octobre 2021 à 20 h 45, la France affronte la Belgique pour la 75e fois de son histoire, en demi-finale de Ligue des nations.https://www.ouest-france.fr/sport/football/equipe-de-france/decryptage-belgique-france-les-bleus-avec-une-defense-a-trois-pourquoi-comment-et-avec-qui-351ee246-275a-11ec-a7ed-108a1ef62346

Un adversaire que les Bleus connaissent bien, pour avoir disputé leur premier match de football contre ces mêmes Belges, le 1er mai 1904. Une rencontre amicale au début du XXe siècle, qui débouchera sur la fondation de la Fifa, quelques jours plus tard.https://www.ouest-france.fr/sport/football/equipe-de-france/equipe-de-france-comme-lucas-et-theo-hernandez-ils-sont-freres-et-ont-joue-ensemble-chez-les-bleus-59e994ea-21ec-11ec-80c3-e73d0362011e

Belgique – France, épisode 75. Ce jeudi soir (à 20 h 45), les Bleus affrontent leur adversaire préféré, en demi-finale de Ligue des nations. Un rival qu’ils connaissent depuis 117 ans, 5 mois et 6 jours, et auquel ils sont liés par la naissance.

Le 1er mai 1904, à une époque où la Fête du travail n’existe pas encore, l’équipe de France de football dispute le premier match de son histoire. Elle rencontre la Belgique, également nouvellement créée. « C’est une suite logique, explique François Da Rocha Carneiro, docteur en histoire et auteur du livre Les Bleus et la Coupe : de Kopa à Mbappé. Il y a des rencontres internationales qui se font dès la fin du XIXe siècle, entre clubs de pays étrangers, mais pas entre sélections nationales. »

« Il faut bien à un moment que l’équipe de France existe »

À cette époque, seules les sélections des îles britanniques existent. La première rencontre date de 1872, avec un Écosse – Angleterre (0-0). « À la toute fin du XIXe, commencent à exister des sélections dans des pays d’Europe, aux Pays-Bas et en Allemagne, par exemple. C’est dans l’air du temps, et il faut bien à un moment que l’équipe de France se mette à exister. Il se trouve que c’est en 1904, avec ses camarades belges. »

Deuxième élément, 1904 correspond à un moment où le football s’est bien développé en France. Le premier club professionnel, Le Havre, voit le jour en 1872, mais « c’est un mélange de football et de rugby ». « Et puis ce n’est pas parce qu’une association existe que le sport s’implante. C’est vraiment la dernière décennie du XIXe siècle qui voit le football s’implanter, surtout à Paris et dans le Nord. »

Concernant le choix de l’adversaire, la Belgique, qui joue également son premier match ce 1er mai 1904, il résulte de deux causes majeures. Premièrement, l’aspect pratique. « Ça aurait pu être la Suisse, à la limite l’Italie, mais la Belgique a cet avantage d’être proche de Paris. Les joueurs sont officiellement amateurs, ils ne peuvent pas partir comme ça, quand ils veulent, pendant plusieurs jours. Il faut que ce soit accessible en train, pas trop fatigant. Il y a quand même plus de cinq heures de train de Paris à Bruxelles. Il faut éviter d’avoir trop de douanes à traverser, avec toutes les formalités à remplir. »

Une majorité de joueurs parisiens

Ensuite, les liens entre Français et Belges sont déjà bien établis, surtout dans le Nord de l’Hexagone. « Il est fréquent d’avoir des rencontres entre des équipes frontalières, par exemple Roubaix – Gand », précise François Da Rocha Carneiro.

Ces contacts aboutissent à la tenue du match au stade du Vivier d’Oie (situé à Uccle, dans la banlieue bruxelloise), l’enceinte du Racing Club de Bruxelles, inaugurée en 1902. C’est le mécène belge Évence Coppée qui organise officiellement cette rencontre, dans le cadre de la « Coupe franco-belge Évence Coppée ».

Reste alors à sélectionner les joueurs français. La charge en revient à la Commission Football de l’USFSA (Union de sociétés françaises de sports athlétiques), « qui est la grande fédération omnisports du moment ». Celle-ci convoque majoritairement des joueurs parisiens, qu’elle connaît grâce aux championnats régionaux.

Et les provinciaux ? « Là encore, il y a l’accessibilité. Pour aller repérer des joueurs susceptibles d’évoluer en sélection, il faudrait que les membres de la Commission Football puissent se rendre à Marseille, à Bordeaux, à Lyon, pour vérifier la qualité de ces joueurs. Or, le train ça prend du temps. »

« Un déplacement de jeunes gens qui font des bêtises »

Un non-Parisien, Adrien Filez, fera tout de même partie des douze joueurs sélectionnés. Attaquant de l’US Tourcoing, il est convoqué grâce à sa « réputation ». Selon les sources de l’époque, « ni les journalistes ni les joueurs parisiens ni les dirigeants ne semblent l’avoir vu jouer ». Sa présence est due aux dirigeants de l’USFSA venant du Nord, qui soufflent le nom à leurs homologues de la capitale.

Si Filez rejoint directement Bruxelles depuis Tourcoing, ses onze coéquipiers prennent un train le 30 avril à 22 h, à la Gare du Nord. Ce déplacement se fait dans une ambiance de « salle de garnison, avec un déplacement de jeunes gens qui font des bêtises ». L’un d’eux, Joseph Verlet, arrive avec une demi-heure de retard à la gare. « Heureusement, le rendez-vous était donné une heure avant le départ du train. »

Pendant le voyage, « on parle de littérature quand on vient d’une catégorie un peu huppée, ce qui est le cas de la plupart des joueurs. On parle également d’autres sports. Par exemple Jacques Davy, aussi international de hockey, qui explique à ses camarades comment on joue à ce qui est l’ancêtre du basket, le ripopo. »

Un repas copieux avant le match

L’avant-match n’a rien à voir avec aujourd’hui. Si les Français ont bien disputé des rencontres de préparation dans les semaines précédentes (contre des clubs anglais), la journée du 1er mai est plutôt festive. « Les dirigeants ont le temps d’envoyer des cartes postales. Le repas du midi est plantureux, ce qui n’est pas idéal quand on joue au foot à 16 h 45. Les joueurs gagnent le stade depuis le centre de Bruxelles, en tramway. Ils y vont au milieu de la foule, composée de 1 000 à 2 000 personnes. »
Localisation du stade du Vivier d’Oie, où a été joué le premier Belgique – France. (Carte : capture d’écran Google Maps)

La rencontre, arbitrée par un Anglais, offre des dispositifs insolites vus de notre époque. Les deux formations s’alignent en 2-3-5. Louis Mesnier devient le premier buteur de l���histoire de la France, en égalisant à la 13e minute (1-1). Au fil de la partie, les Belges repassent devant à 3-2, mais Gaston Cyprès égalise d’une reprise de volée en fin de rencontre (3-3, 87’). Le match, qui ne prévoit pas de prolongation, se termine à 3-3, Français et Belges se partageant alors le trophée Évence-Coppée.

Pour quel impact en termes de médiatisation ? « Ce qu’il y a de particulier, c’est qu’on a très peu de traces, note François Da Rocha Carneiro. On a quelques récits de matchs dans L’Auto, dans la presse spécialisée française et dans la presse belge. Mais très peu finalement. »

Des négociations qui amènent à la création de la Fifa

Les effets sont ailleurs. Déjà, ce duel inaugure les matchs internationaux en Europe centrale, en étant le premier affrontement entre deux pays d’Europe, hors îles britanniques. Puis il lance « la tradition des matchs France – Belgique ». Les « Diables Rouges » sont ainsi les adversaires les plus rencontrés par les Bleus (74 fois avant ce jeudi soir), mais l’inverse n’est pas vrai (la France est le 2e pays le plus joué par la Belgique, derrière les Pays-Bas).


Les Bleus ont affronté 74 fois la Belgique dans leur histoire avant ce jeudi soir, la dernière fois le 10 juillet 2018 en demi-finale de la Coupe du monde en Russie (1-0 pour la France, ici Nacer Chadli (à gauche) et Antoine Griezmann). (Photo : Paul Ellis / AFP)

La conséquence la plus lourde se tracte toutefois hors du terrain. Il s’agit « des dernières négociations, entre dirigeants français et belges, sur ce qui va donner naissance à la Fifa. La dernière touche a sûrement été apportée à l’occasion de ce match. »

Ce n’est pas un hasard si vingt jours plus tard, le 21 mai 1904 à Paris, est fondée la Fédération internationale de football Association (Fifa). Une naissance à laquelle participent la France et la Belgique, aux côtés de cinq autres membres fondateurs (Pays-Bas, Suède, Danemark, Suisse, Espagne).

Le match Belgique-France ne faisait-il alors partie que d’un plan d’ensemble, visant à créer la Fifa ? « Je n’ai pas les archives qui me permettent de l’affirmer, répond malicieusement François Da Rocha Carneiro, mais c’est tout à fait plausible. »

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