Visible depuis 300 ans sur le restaurant d’un village, un symbole colonial fait polémique

Par Jean-François Vallée.

À Saint-Georges-sur-Loire (Maine-et-Loire), la sculpture d’une tête noire présente sur la façade d’un restaurant fait revivre un passé que l’on croyait oublié, la traite négrière. Et permet de relire autrement l’histoire du château de Serrant.


« Il faut décrocher la Tête noire. Elle peut être vécue comme une insulte pour beaucoup. » À l’heure de Black live matter (1), Jean-Louis Ducluzeau, un habitant de Saint-Georges-sur-Loire (Maine-et-Loire), ne supporte plus ce qu’il appelle « un symbole dégradant du colonialisme » présent sur la façade d’un restaurant qui porte le même nom, la Tête noire, en plein centre de sa commune.

D’où vient cette sculpture ?

Quelle est cette tête ? Dans ce gros bourg de 3 500 habitants, proche d’Angers, tout le monde connaît le château de Serrant, l’un des plus prestigieux de l’Anjou. Mais qui sait d’où vient cette sculpture située à 1,6 kilomètre du monument historique ?

A-t-elle servi de figure à la proue d’un bateau qui transportait des esclaves entre l’Afrique et les Antilles au XVIIIe siècle ? (Photo : Ouest-France)

La tête est taillée dans un bois noir, sa barbe bouclée lui donne une allure de dieu ou de démon, accentué par un œil blanc qui semble cligner. « Cette tête n’a pas bougé depuis 300 ans », hasarde Yannick Heintschel, le patron du restaurant qui a définitivement fermé ses portes en mars dernier.

« Elle servait de proue à un bateau qui participait à la traite des esclaves dans les années 1700… » Sait-il que des habitants de la commune demandent qu’elle soit décrochée ? « Non. Les clients ne m’ont jamais fait de remarques sur cette tête alors que j’en ai eu pour les tableaux de chasse qu’il y avait dans la salle. »

Antoine Walsh, le premier armateur négrier de Nantes

« On ne sait pas grand-chose sur cette tête, ni ce qu’elle représente, ni si elle a servi de proue de bateau, relativise Françoise Capelle, membre de l’association Histoire des coteaux de Loire et du Maine. Par contre, elle semble dater du XVIIIe siècle et ce que nous savons c’est qu’à cette époque, Saint-Georges avait un lien avec le commerce triangulaire. »


De style Renaissance, le château de Serrant, à Saint-Georges-sur-Loire, a été construit à partir de 1539 par l’architecte angevin Jean Delespine à qui l’on doit le Logis Pincé à Angers. (Photo : Ouest-France)

L’histoire est assez mal connue de la population, admet l’historienne. « C’est pourtant la réalité. » À 70 km de Nantes, premier port négrier de France il y a 250 ans, de riches armateurs ont mis la main sur des châteaux ligériens. C’est le cas d’Antoine Walsh qui achète Serrant en 1749 avant de le céder à son frère, François Jacques.

« Il était le premier armateur de Nantes. En cinq ans, il a fait une soixantaine de voyages. Les Walsh tirent toute leur fortune du commerce triangulaire et de la traite négrière. » Né en 1703, Antoine Walsh est mort en 1763 à Saint-Domingue où il possédait deux plantations

Des « négrillons » au château de Serrant

La fameuse Tête noire n’est pas arrivée des Antilles toute seule. « Des négrillons, comme on les appelait, ont travaillé dans le château, affirme Françoise Capelle. On a retrouvé leurs actes de baptême. » En effet, au XIIIe siècle, il est de bon ton pour la société aristocratique d’utiliser des adolescents comme pages ou serviteurs.

Lorsque l’on fait la visite de Serrant, le guide évoque bien la famille Walsh, mais pas le commerce triangulaire, ni la traite des Noirs qui ont fait sa fortune. « Nous ne sommes pas responsables de nos ancêtres, admet Françoise Capelle. Mais il faut reconnaître cette histoire. On ne peut pas nier ce qui a existé. »

C’est exactement ce que souhaite Jean-Louis Ducluzeau. « Il faudrait décrocher la Tête noire et l’exposer en mairie avec une plaque explicative. » Afin qu’un travail de mémoire sur la traite des Noirs ne se limite pas à Nantes et à son port.

(1) Black live matter est un mouvement qui lutte contre les violences des policiers faites aux Noirs, ravivé par la mort de George Floyd en mai 2020.

ouest france